Pour surmonter la pandémie: trois enseignements à tirer de la situation des Palestiniens

03.05.2020

Categories: Apartheid et colonialisme, BDS-Arguments

Ce mème se réfère a des questions fondamentales : L'apartheid israélien et ses pratiques autoritaires seront-ils un modèle pour les réponses mondiales à la pandémie ? Allons-nous creuser le fossé entre ceux qui doivent être sauvés et ceux qui doivent mourir derrière les murs physiques ou virtuels ? Y a-t-il une leçon à tirer de la Palestine sur la manière de construire une réponse alternative qui crée un monde post-COVID19 plus juste et plus durable ?

Des murs qui tueront non pas le virus mais le peuple

L'expérience de la plupart des gens du Nord confinés chez eux n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'endurent les Palestiniens, ceux de la Bande de Gaza qui ont enduré les 13 années de siège militaire israélien ceux dans des ghettos et soumis aux attaques constantes de l'apartheid israélien. Cependant les migrants aux frontières de l'Europe qui, sous prétexte des fermetures dues à COVID-19, ont été abattus alors qu'ils tentaient de franchir la clôture qui militarise les frontières, évoquent les images des centaines de Palestiniens tués par des tirs de snipers lors des manifestations contre la clôture qui boucle la bande de Gaza

A Gaza et dans les communautés bédouines palestiniennes, Israël continue de démolir les cliniques de santé les plus élémentaires et l'accès à l'eau est systématiquement coupé pour expulser les habitants. Cela fait écho avec la réalité des gens entassés dans les favelas du Brésil, sans accès à l'eau courante ni au savon. La réalité que vit le peuple palestinien n'est pas étrangère à celle de millions de personnes en Inde, qui ont été expulsées des villes où elles travaillaient sous prétexte des mesures anti-COVID19. Le gouvernement hindou-fasciste les a expulsées et elles sont forcées de marcher des jours entiers, sans nourriture, pour être ensuite bloquées aux points de contrôle militarisés aux frontières entre les États.

A mesure que le virus se répand, les murs idéologiques du nationalisme et du racisme suprémacistes se dressent au grand jour. Les messages que nous recevons de Gaza nous rappellent que c'est justement la structure idéologique sur laquelle se fonde l'apartheid israélien. En Palestine et dans le monde entier il se manifeste dans toute sa cruauté un système où certains sont à sauver et d'autres sont souvent au mieux dispensables et non désirés, où des populations entières sont ainsi réduites à des "morts vivants".

Être "à l'extérieur du mur" signifie que les mesures de prévention COVID-19 cessent d'être utiles ou ne vous sont pas destinées. Dans le cas de l'apartheid israélien, cela se traduit par le fait que la plupart des travailleurs israéliens sont priés de rester chez eux, alors que les travailleurs palestiniens sont obligés de rester pendant des semaines loin de chez eux, dans des conditions de vie inhumaines et sans équipement de protection, cela dans le but de maintenir l'économie israélienne à flot. Lorsqu'ils tombent malades, ils sont jetés comme des déchets de l'autre côté du mur. Même les citoyens palestiniens d'Israël ont dû se battre pour obtenir un accès suffisant à l'information en arabe - les directives ne leur étaient apparemment pas vraiment destinés.

Pendant cette période, les fermetures des frontières et des murs se dressent non seulement en Palestine mais partout dans le monde pendant cette période, des murs encore plus hauts et plus militarisés qu'auparavant. Ces murs n'arrêtent évidemment pas le virus, mais ils tuent les exclus.

Soins de santé ou guerre ?

La question de Gaza "Comment se passe le bouclage" s'adresse également à ceux qui se trouvent à l'intérieur des murs.

Le verrouillage toujours plus strict et l'état d'urgence qui prévaut ont suspendu les droits et libertés civils et ouvert la voie à une période de formes extrêmes de biopouvoir, ou, comme l'a dit Michel Foucault: "une explosion de techniques nombreuses et diverses pour parvenir à l'assujettissement des corps et au contrôle des populations".

L'auto-isolement, la quarantaine et le traçage des contacts sont des mesures importantes contre la propagation du coronavirus. Mais derrière ces mesures il n'y a pas que des préoccupations concernant la santé publique.

En effet, la manière dont Israël met en œuvre ces mesures est le résultat de paradigmes répressifs et des méthodes de son industrie militaire, testées depuis longtemps sur les Palestiniens.

Israël a été l'un des tout premiers pays à promouvoir mondialement son opération d'espionnage numérique, dirigée par son agence de sécurité militaire Shin Beit, en tant qu' une mesure anti-COVID19. Les autorités israéliennes n'ont pu agir aussi rapidement que parce qu'elles disposaient déjà d'un système de surveillance quasi illimité, jusqu'ici inacceptable dans les États démocratiques à cette échelle.

La société qui a avancé l'idée de l'opération d'espionnage anti-COVID19 avec le ministre de la défense était le groupe NSO, la société israélienne de cyber-technologie ayant des relations étroites avec la principale agence d'espionnage militaire du pays, Unit 8200, et surtout connue pour son logiciel malveillant de piratage et d'espionnage Pegasus. Pegasus transforme les téléphones en dispositifs d'espionnage et a été utilisé par certains des gouvernements les plus répressifs du monde pour cibler les défenseurs des droits humains et les journalistes.

Aujourd'hui, le groupe NSO fait la promotion de sa technologie pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Apparemment, un certain nombre de pays mènent déjà des études pilotes. John Scott Railton, du Citizen Lab, un organisme de surveillance de la vie privée basé à Toronto, a déclaré que "la dernière chose dont nous avons besoin est une société secrète qui prétend résoudre une pandémie tout en refusant de dire qui sont ses clients".

Un nouveau cadre de "consentement volontaire" pour des applications permettant de pister les gens est actuellement testé sur les Palestiniens ayant un permis de séjour en Israël. On leur demande de télécharger une nouvelle application permettant de remplacer les rendez-vous au bureau pour contrôler ou renouveler leurs permis. Cette application permet de suivre la localisation et peut accéder à pratiquement toutes les informations sur le téléphone portable, y compris son appareil photo. Afin d'installer l'application, les utilisateurs doivent accepter de fournir des informations qui seront utilisées "à toutes fins, y compris à des fins de sécurité" de leur "plein gré".

Si de telles opérations pouvaient effectivement sauver des vies, il y aurait un dilemme moral. Ce n'est pas le cas. Privacy International démontre que de tels systèmes ont été testés lors d'épidémies précédentes telles que MERS et Ebola et n'ont pas prouvé leur efficacité.

Au fur et à mesure de la levée progressive des confinements, nous devons nous assurer que ce ne sont pas les paradigmes de surveillance d'Israël et ceux des sociétés militaires et de sécurité intérieure qui définissent les politiques. Sinon ne allons non seulement financer l'occupation militaire de la Palestine par Israël, mais également importer certaines de ses caractéristiques dans nos propres vies.

Répandre la solidarité

La question de Gaza "Comment se passe le confinement/verroullage" nous envoie un troisième message : comment résister et construire des alternatives de solidarité?

En mettant en évidence les injustices économiques, politiques et sociales, le coronavirus révèle que les problèmes dépassent de loin la crise sanitaire qu'il a provoquée.

Si nous voulons sortir de la crise avec plus d'égalité, plus de droits, plus de solidarité et un secteur des soins mieux développé, ce n'est pas sur les moyens et les méthodes de répression qu'il faut compter, mais qu'il s'agira au contraire de construire des liens de solidarité et couper les liens de complicité entre ceux qui approfondissent la courbe de l'injustice sans stratégie de sortie.

Le peuple palestinien est un exemple de lutte, de volonté ferme non seulement de survivre, mais de vivre dans la dignité. Il prouve au monde que les gens ont le pouvoir collectif de s'en sortir dans la bonne direction.

Les Palestiniens ont dès le début commencé à s'organiser pour contrer la pandémie. Habitués aux confinements et aux catastrophes et en sachant qu'ils ne pouvaient pas compter sur le pouvoir étatique pour les protéger, ils ont organisé des comités d'urgence populaires dans les villages, les camps et les villes palestiniens, comités qui fournissent des informations, des kits sanitaires et de la nourriture aux plus vulnérables.

Partout dans le monde, les gens développent des alternatives. Dans les favelas du Brésil, des groupes d'action similaires à ces comités palestiniens sensibilisent et soutiennent. Le Kerala, un État du Sud de l'Inde doté d'un gouvernement de gauche, a obtenu d'excellents résultats en matière de protection de la population contre le virus, ce qui montre que même au niveau institutionnel, la coopération avec les patients dans pour le traçage des contacts est plus efficace que la surveillance. Il montre également que la mobilisation de la population et un système de soins de santé et des politiques sociales en bon fonctionnement sont toujours plus efficaces que la répression dans la lutte contre la pandémie.

Le nombre croissant de webinars et de conversations en ligne a permis de nous rapprocher plus que jamais. Le confinement s'est ouvert comme un espace de réflexion pour repenser radicalement la politique. L'impact de la pandémie a mis l'urgence de l'unité et de la lutte commune au premier plan de l'ordre du jour. L'internationalisme n'est pas un ajout à la politique locale et nationale, mais l'essence même de la capacité à remettre en question le système qui nous laisse tous tomber, d'une manière ou d'une autre.

Ce qui se fait en Palestine peut nous montrer que pour sortir de cette situation il nous faut de la coopération et de la solidarité, que nous devons gagner cette bataille d'idées. Ce dont nous avons besoin, ce sont des soins de santé et des politiques sociales, et non pas de systèmes de surveillance et de militarisation pour réprimer justement les mouvements qui réclament ces politiques sociales.

 

“Dear world, How is the lockdown, Gaza” ("Cher monde, comment va le verrouillage, Gaza") est un rappel que la liberté, la justice et l'égalité pour tous sont urgentes, nécessaires et indivisibles.

- Maren Mantovani est la coordinatrice des relations internationales de la campagne "Stop the Wall" et de la Coalition palestinienne pour la défense de la terre. Elle fait partie du Secrétariat international du Comité national palestinien du BDS (BNC). Elle a contribué à cet article dans The Palestine Chronicle.

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